J’ai présenté ici le vote qui a opposé la majorité des élus Villejuif-Écologie au reste de la majorité municipale : le projet Valophis qui compromet le projet de coulée verte en centre-ville promise dans la campagne électorale de 2020. L’affaire suit son court, tout n’est pas encore perdu.
Remaniements dans les groupes municipaux
Revenons un instant au point de départ de ce conseil municipal : le maire annonce officiellement que Nadia Rekris rejoint notre groupe municipal, pour notre fierté ! Nadia, connue des usagers de l’Auberge des idées, liée à un réseau à la fois associatif et culturel, est une personne très indépendante, mais désormais convaincue de l’importnce structurante de l’écologie.
En revanche, le maire ne dit rien de la situation de plus en plus confuse de l’ex-liste de Franck le Bohellec, en particulier du rattachement des nouveaux et nouvelles élues qui replacent les démissionnaires de cette liste, F. le Bohellec en premier lieu. Nos regards se tournent vers les quatre groupes (au moins ?) en lesquels la liste Le Bohellec a éclaté. Comme il y a pas mal d’absents, la situation n’est pas claire. Mahrouf Bounegta, ultime représentant de la liste initiale, semble désormais tout seul ! Il est pourtant élu régional du parti Les Républicains, et ce sera même le candidat LR pour les élections législatives de juin. A l’inverse, Christelle Esclangon semble entourée de deux « nouvelles », elle est suppléante sur le tandem de La République en Marche. Difficile de situer politiquement les deux autres groupes. Tous ces groupes, sauf M. Bounegta (qui n’hésite pas à interrompre la personne ayant la parole), adopteront dans les débats des positions peu agressives et souvent constructives.
La « loi des 1607 heures »
Mais la seconde granse affaire de ce conseil est la loi des 1607 heures. Il s’agite en fait de la loi du 6 août 2019 de « modernisation de la fonction publique » qui rend obligatoire de travailler 1607 heures par an dans TOUTES les collectivités territoriales : communes, départements, régions, intercommunalités (comme notre Grand-Orly-Seine-Bièvre). À cette date, le nombre d’heures de travail par an dans la fonction publique territoriale était de 1562 heurs (c’est à peu près le cas de Villejuif). E. Macron espérait ainsi, en allongeant la durée du travail, réduire de 57 000 le nombre de fonctionnaires territoriaux, sans tenir compte du fait que bien des municipalités, dont la nôtre, manquent cruellement de personnels pour le service du public.
La loi était applicable théoriquement le 1er janvier 2022. Prudemment F. Le Bohellec n’a pas cherché à négocier sa mise en œuvre avant les élections de 2020. Mais une décision du Tribunal administratif nous oblige à l’appliquer le 4 juillet à venir.
Cette loi est, aux yeux des écologistes comme de toute la gauche, un véritable scandale.
1. Il y a 22 ans, la durée normale du travail a été fixée à 35 heures par semaine. Ce n’était pas un plancher, mais un plafond : les entreprises privées sont libres de passer aux 32 heures et certaines le font. C’est le sens de l’Histoire, la conquête du temps libre, et le partage du travil pour faire reculer le chômage. L’Assemblée macroniste sortante a au contraire décidé d’en faire un minimum.
2. Jusqu’ici, les communes avaient la même liberté, « elles s’administrent librement» dit la Constitution. Ce sont elles qui sont les employeurs, pas l’État ! En général, elles appliquent les 35 heures hebdomadaires, mais négocient des jours de congés supplémentaires. C’est la seule solution pour rendre attractive une profession où le salaire, plus exactement la « valeur du point d’indice », fixée par l’État, est gelée depuis plus de dix ans , ce qui représente une perte de pouvoir d’achat de 20% (à indice constant). À Villejuif, des décennies de négociations ont ainsi accordé des journées libres, ce qui plaçait notre durée annuelle vers 1550 heures. Ces compromis sociaux sont balayés d’un trait de plume. Or les agents qui sont entrés dans telle ville, telle intercommunalité, ont signé un contrat en fonction de ces « avantages sociaux » ! Une remise en cause unilatérale d’un contrat, violant la parole de l’État local (la collectivité territoriale, qui est l’employeur) sans lui demander son avis, ni à plus forte raison l’avis des agents !
- La majorité macroniste sortante a imposé ces 1607 heures par an dans la fonction publique territoriale sans aucune considération de la variété des situations, de Paris à Saint-Pardoux-la-Rivière : taille unique ! Seule flexibilité accordée : prendre en compte la pénibilité individuelle des postes.
- Il est précisé que, cette quantité de travail annuelle devenant une obligation, elle s’applique sans changer la valeur du point de la fonction publique, ni augmenter le nombre de points correspondant à chaque poste. Il s’agit donc de « travailler plus en gagnant autant », c’est à dire d’une diminution du salaire horaire, décidée par l’État, sans que les employeurs ni les employés n’aient rien à dire.
Ces 4 aberrations semblent même contraires à la Constitution : la question de la constitutionnalité de la loi a été posée par des collectivités, et le Conseil Constitutionnel vient de reconnaitre que la question est légitime. Il va l’examiner : verdict dans quelques mois. Mais d’ici là, il faut l’appliquer … avant le 4 juillet.
La négociation amputée de Villejuif
Après avoir trainé les pieds, les majorités municipales de gauche, hostiles à la loi, ont bien compris que la décision du Conseil constitutionnel, imprévisible, arriverait trop tard et qu’il faudrait au moins commencer à appliquer la loi.
Le Bureau municipal de Villejuif a donc engagé la négociation pour savoir comment l’appliquer, dans l’intérêt du service public mais sans trop nuire aux agents. Il y a bien sûr les exceptions pour pénibilité : par chance une grille « objective » des travaux pénibles avait déjà été négociée. Mais le seul avantages, en termes de temps de travail pour tous les agents, que l’on pouvait obtenir pour eux dans le cadre de la loi était la flexibilité des horaires de travail. Un sondage a donc été organisé, auquel ont répndu plus de 900 agents, ce qui est considérable, leur proposant une gamme de cycles de travail possibles. Massivement, les agents ont choisi les 3 cycles qui, au prix de semaines plus longues (37 heures à 38 heures et demi) sauvegardaient le plus de journées de congé. Précieuse indication : aujourd’hui, les salariés demandent du temps « vraiment libre » , c’est à dire au moins par journées entières.
Mais cela ne résout en rien le problème n°4 de la baisse du salaire horaire. Et la direction des ressources humaines, forte du succès de la consultation (où la question de la compensation, en termes de revenus, de l’allongement de la durée du travail, n’était pas posée !) refuse de négocier dans le même temps la question des revenus. Or elle en a les moyens : outre le salaire indiciaire, les agents perçoivent des indemnités décidées localement (le RIFSEEP ), des chèques-vacances, la participation patronale à une mutuelle et autres avantages en nature… que la loi n’interdit pas d’augmenter.
D’où la colère du syndicat majoritaire, la CGT, dont les élu.es du personnel, dès l’entrée du Comité Technique paritaire d’avril qui doit entériner les 3 cycles de travail, annoncent qu’elles et eux refusent de siéger. À la sortie des conseillers municipaux dépités, une manifestation d’agents nous explique leur amertume. Faute de quorum, le CT se réunit à nouveau quelques jours plus tard (sans quorum). Les élu.es CGT ne sont toujours pas là : la nouvelle organisation du travail est adoptée avec l’appui du seul représentant présent des salariés, du syndicat minoritaire CFTC ! Et la CGT annonce qu’elle boycottera à l’avenir les réunions du CT, structure la plus institutionnelle du dialogue social.
Du jamais vu à Villejuif : le divorce total entre la CGT et le Parti communiste ! Je siège en CT, ex-Commission paritaire, depuis l’époque de P-Y Cosnier, j’ai connu l’ère Cordillot et l’ère Le Bohellec, je n’ai jamais connu pareille tension. Au CT du Grand-Orly-Seine-Bièvre, où je siège aussi, la CGT s’est contentée de voter contre les arrangements proposés par son président Michel Leprêtre (communiste), par opposition de principe à cette loi (l’autre syndicat , la CFDT, qui pèse à peu près le même poids, a voté pour), mais sans en faire un drame.
La tentative de Villejuif-Écologie
Effaré par la profondeur de cette rupture, nos représentants se sont abstenus en CT comme ensuite en commission municipale. Il nous semblait impossible, pour une municipalité de gauche, de continuer comme ça. Nous avions pourtant approuvé la négociation sur les cycles de travail, confiant que le problème de la baisse du salaire horaire serait aussi abordé, ce qui n’a pas été le cas. En outre la violence de la rupture nous semble refléter un mal plus profond : un mauvais climat social, avec son cortège de souffrance au travail, dépressions, prises de congés-maladie, etc.
Inquiet de cette dissonance, le maire Pierre Garzon nous invite à en discuter. Nous le rencontrons avec une proposition de base : notre date-limite est le 4 juillet, profitons de ce délai pour boucler l’ensemble de la négociation, aspects financier inclus, quitte à organiser un conseil municipal spécial fin juin.
Hélas : le maire, accompagné de sa première adjointe et de son dir’cab’, nous convainc que ce n’est pas possible. En effet le candidat Macron a promis pendant sa campagne qu’il revaloriserait la valeur du point d’indice aussitôt élu, mais en fait une fois l’Assemblée nationale élue et le nouveau gouvernement formé, c’est à dire pas avant le mois d’aout. C’est une mesure absolument nécessaire, compte tenu de l’inflation : outre les 20% de retard pris au fil du temps, la Covid puis l’agression russe en Ukraine ont provoqué une flambée inflationniste (déjà 5% en un an, et ça ne va pas s’arranger : Poutine a provoqué, sinon une guerre mondiale, du moins une crise mondiale sur les marchés de l’énergie, des céréales, des oléagineux). Mais, problème : Macron se montre là généreux… avec l’argent des collectivités locales, qui , encore une fois, sont les employeurs… et les payeurs !
Au conseil municipal de fin juin, nous avions prévu de répartir l’argent dégagé par les excédents de 2021, plutôt pour investir. Au lieu de quoi, il va falloir prévoir une provision pour la hausse inconnue du salaire indiciaire du mois d’aout, qui ne compensera (en partie) que l’inflation. Nous ne saurons donc pas, début juillet, s’il nous reste de l’argent pour indemniser d’une façon ou d’une autre l’allongement de la durée du travail. La négociation ne pourra commencer que sur la base d’une information complète, à la rentrée.
Nous abordons également le sujet de la souffrance au travail en termes particulièrement nets de la part de notre présidente, Natalie Gandais. Nos interlocuteurs sont sceptiques : « Toute la France est en souffrance, alors..; »
La mort dans l’âme, nous décidons de voter dans l’immédiat pour les nouveaux cycles de travail mis aux voix en ce conseil municipal de mai. J’interviens au nom de notre groupe pour dire nos quatre critiques de la loi, expliquer qu’on ne peut pas actuellement aller au-delà des « flexibilités » prévues, et je dis un mot sur la souffrance au travail (ce n’est pas la première fois de la part de notre groupe). Pour les socialistes, Alain Weber intervient dans le même sens et insiste encore davantage sur la dégradation du climat, y compris à l’encontre d’élu.es. La droite approuve évidemment le passage aux 1607 heures.
Ainsi, le conseil municipal, unanime, adopte notre application d’une loi, les uns parce qu’ils la trouent bonne, les autres parce qu’on ne peut pas faire autrement…
C’est un des enjeux des élections législatives de juin : il est urgent de rétablir l’autonomie des collectivités locales, conformément au processus de décentralisation de la France amorcé sous F. Mitterrand en 1981, poursuivi sous Lionel Jospin, et que les réformes de N. Sarkozy, F. Hollande et E. Macron ont complètement remis en cause.
Alain Lipietz
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