Notre Géothermie face à la crise du gaz

Le prix du gaz explose encore plus violemment que le prix du pétrole. Les abonnés au gaz individuels se retrouvent piégés. Mais cette hausse fait aussi peser une terrible menace sur notre réseau de géothermie, donc sur les immeubles collectifs de Villejuif, HLM et copropriétés. Comment est-ce possible ? Notre eau chaude ne vient-elle donc pas des entrailles de la terre ? Et qu’allons nous faire ?

 

Pourquoi le prix du gaz augmente sur le marché mondial ?

Cette hausse est due à la violence de la reprise économique, particulièrement en Asie, à l’incendie d’une importante usine de liquéfaction de gaz en Norvège, à une pression de la Russie sur l’Allemagne à propos d’un projet de gazoduc (et autres problèmes géopolitiques). Même la lutte contre le réchauffement climatique y contribue, du fait du basculement du charbon vers le gaz, deux fois moins polluant à énergie égale. Et la résistance croissante au gaz de schiste (qui, outre ses dégâts locaux, dégage énormément de méthane dans l’atmosphère) a dissipé l’illusion d’une nouvelle ère des énergies fossiles à bon marché.

Entre aout de cette année et novembre, le prix du gaz a été multiplié par 3, passant de moins de 40 euros par Mégawatt-heure à 115 euros, et depuis oscille autour de 100 euros.

 

Pourquoi notre géothermie a-t-elle besoin de gaz ?

 

Notre réseau, qui irrigue Chevilly, L’Hay les Roses et Villejuif à l’ouest de la Nationale 7, puise de l’eau très chaude à 2 km sous terre, grâce à 3 bi-puits pour extraire et ré-injecter l’eau. En surface, l’eau souterraine échange sa chaleur avec le réseau de surface dans une usine : une par ville (à Villejuif elle est rue Jean-Baptiste Baudin), mais il n’y a qu’un seul réseau pour l’ensemble des villes. C’est le plus grand réseau de chaleur géothermique d’Europe (chauffage et eau chaude au robinet). Il fournit l’équivalent de 35 300 logements dont 3 hôpitaux, et économise (par rapport à un réseau fonctionnant au gaz) 39000 tonnes de CO2 par an (l’équivalent de l’incendie d’une forêt grande comme Paris ou encore de la circulation de 20 000 voitures). C’est donc la contribution majeure de nos villes à la lutte contre l’effet de serre et le  réchauffement climatique.

Ce réseau est entièrement public : il appartient au  Syndicat intercommunal Sygeo,  régi par le Service public local Semhach.

MAIS l’eau chaude souterraine n’arrive en surface qu’à une température de 80° insuffisante pour l’hiver (il faudrait avoir de l’eau proche de 100 degrés) et l’eau du réseau de surface se refroidit en circulant d’immeuble en immeuble. Aux 68% de la chaleur offerts par le sous-sol, Il faut donc rajouter un complément, essentiellement au gaz :

  • Pour des turbines à gaz de cogénération au départ des deux bipuits les plus anciens, Chevilly et l’Haÿ (la cogénération produit en même temps de la chaleur et de l’électricité, laquelle bénéficiait d’un tarif de rachat avantageux par EDF).
  • Pour des chaufferies intermédiaires sur le réseau.

A Villejuif, c’est différent. Nous récupérons la chaleur de l’eau tiède, à son retour du réseau de surface, et nous réinjectons cette chaleur au départ du réseau de surface. Comme pour un réfrigérateur ou un climatiseur, cela consomme de l’électricité. Mais pour un kilowattheure ainsi consommé nous récupérons 4 kilowattheures de chauffage.

L’usine géothermique de Villejuif. Devant , le potager partagé de La Grande Ourse.

Au total, le recours à notre réseau de géothermie coute 30 % de moins aux usagers que le chauffage au gaz. C’est pourquoi toute les copropriétés, HLM, écoles, hôpitaux, et bien sûr nos bâtiments publics se chauffent à la géothermie. Pour les pavillons individuels, les raccorder au réseau leur couterait malheureusement trop cher.

 

Comment la crise s’est développée ?

D’abord, le gouvernement, qui comme chacun sait n’est pas très écolo, a décidé d’abandonner la cogénération. Jusqu’ici, nous revendions l’électricité à un « tarif de rachat »  très intéressant, qui contribuait au bas coût de notre eau chaude. C’est fini pour nous depuis le 15 novembre. Mais, comme on va le voir, à quelque chose malheur est bon !

Du coup, le Sygeo/Semhach a entrepris un nouveau bond en avant pour se passer du gaz :

  • Installer aussi des pompes à chaleur sur les deux plus anciennes centrales – c’est déjà le cas pour la troisième, à Villejuif. Les deux turbines ne fonctionneront plus que par froidures exceptionnelles ou quand il y aura un appel de prix intéressant sur le marché libre de l’électricité… ce qui est déjà le cas !
  • Des chaudières électriques plutôt qu’au gaz.

Ces investissements nous coutent 10 millions. Cela diminuera d’un facteur 3 notre consommation de gaz… mais seulement à l’automne 2022. Et bien sûr cela augmentera notre facture d’électricité, mais la part « énergie renouvelable » atteindra presque 85%… ce qui nous vaudra de nouvelles subventions.

En attendant : nous bénéficions d’un vieux contrat d’achat de gaz à très bas prix (14 euros le MW-h) jusqu’au 31 décembre. A partir du 1er janvier, nous devrons nous tourner vers le marché mondial , c’est à dire dans les 100 euros le MW-h ! La facture en gaz deviendra insoutenable, et notre géothermie risque la faillite cet hiver. Passé ce cap, au printemps, nous n’aurons plus besoin de rajouter de la chaleur, et à l’automne, avec les nouvelles installations, nous n’aurons plus besoin que d’un peu de gaz, par sécurité. Notre problème est donc de « passer l’hiver » !

 

Comment les distributeurs d’énergie répercuteront-ils cette hausse sur les usagers ?  

Pour évier une catastrophe sociale, le gouvernement a décidé de bloquer le tarif du gaz réglementé – celui que Engie (ex -GDF) vend aux usagers individuels. Ce tarif a déjà augmenté de près de 50 % au long de l’année 2021 :  le gouvernement, à la veilles des élections, distribuera donc en plus un petit « chèque énergie ». Engie, qui doit acheter son gaz sur le marché mondial, subira donc de lourdes pertes, mais il a la trésorerie pour le supporter. Ensuite, il est prévu que le tarif réglementé du gaz augmente progressivement pour effacer ces pertes de l’hiver 21-22.

Mais le gouvernement n’a rien prévu pour les réseaux de chaleur collectifs, q’ils soient publics ou privés ! Contrairement à Engie, la Semhach a de très faibles réserves de trésorerie.  Et nous ne pouvons pas plus qu’Engie répercuter sur les usagers la hausse du prix mondial du gaz.

Outre qu’il est socialement impossible de répercuter une telle hausse du prix du gaz sur les Villejuifois (plusieurs quartiers sont classés « Prioritaires de la Politique de la Ville », d’autres sont tout aussi pauvres), nos contrats de vente aux société HLM, aux copropriétés, aux mairies, aux entreprises, ne comprennent qu’une partie indexée sur le prix du gaz réglementé (le reste correspond à l’amortissement des puits et du réseau.)

Grace à la géothermie, nous pensons que le prix du chauffage n’augmentera que de 20% dans les charges des immeubles collectifs que nous desservons (contre 50 % pour ceux qui se chauffent au gaz individuel gaz individuel).

Mais, étant donné que les achats de gaz par la Semhach représentaient déjà 3 à 4 millions par an sur un chiffre d’affaire de 11 millions, celle-ci ne pourra pas supporter de payer le gaz è ou 8 fois plus cher. Nos réserves de trésorerie nous permettent de tenir jusqu’en février, puis nous serons en cessation de paiement… si le gouvernement ne fait rien.

 

Alors qu’allons-nous faire ?

 

D’abord, s’adresser à l’Etat, pour obtenir les mêmes avantages qu’Engie. Que le gouvernement garantissent un emprunt pour « passer l’hiver », qu’il diminue la taxe intérieure sur la consommation de gaz (c’est le principe de la « TIPP flottante » que défendent les écologistes depuis 20 ans). Mais jusqu’ici les démarches entreprises par nos élus (notamment la sénatrice Sophie Taillé-Polian) se sont heurtées à un refus.

Donc on va essayer, parallèlement, de compter sur nos propres forces.

D’abord, vous avez peut-être remarqué que le tarif de rachat de l’électricité de la cogénération s’est terminé le 15 novembre, alors que nous avons toujours du gaz à bon marché jusqu’au 31 décembre. Or le prix de l’électricité sur le marché libre suit en moyenne le mouvement du prix du gaz (en moins prononcé). Il est actuellement très élevé, bien plus que le tarif de rachat ! Donc nous profitons de ces 6 semaines pour faire tourner à fond nos turbines de cogénération, vendant sur la marché européen l’électricité très chère produite avec du gaz peu cher. Nous amassons ainsi des noisettes pour passer l’hiver !

Par ailleurs, nous allons être indemnisés par les assurances de plusieurs pompes qui ont cassé il y a deux ans. Nouveau pactole (plus de 2 millions) pour passer l’hiver.

Enfin, si la Semhach ne peut pas emprunter, n’ayant pratiquement pas de fonds propres, le Sygéo, qui a un énorme actif (son réseau), lui, le peut. Et la Banque Centrale Européenne émet depuis deux ans de l’argent à très bas taux d’intérêt. C’est donc le Sygéo qui va emprunter, 2,5 millions d’euros à moins de 0,5 % sur 20 ans, alors que l’inflation est déjà proche de 3% : le Sygéo remboursera beaucoup moins qu’il n’emprunte ! Et le Sygéo va apporter cette somme en capital à la Semhach, sans que nos trois villes n’aient rien à débourser.

Avec ces trois apports, nous espérons pouvoir passer l’hiver sans casse, et sans augmenter le tarif des usagers de plus de 20%, alors que nous achèterons le gaz 8 fois plus cher.

 

Et si le prix de l’électricité s’envole ?

Lors du conseil municipal du 15 décembre, il y a eu quasi-unanimité pour accepter ce plan, à l’exception des 5 scissionnistes issus de la liste de M. Le Bohellec. L’argument de leur leader dans ce débat, Marc Badel : « Il est dangereux que toute l’énergie d’appoint soit électrique. Le prix de l’électricité peut monter plus vite que le gaz. »

Eh bien c’est précisément pour ça qu’on va garder les turbines de cogénération (remises à neuf il y a peu) qui, à partir du gaz, produisent en même temps de la chaleur et de l’électricité. Et donc nous prévoyons d’acheter encore du gaz à l’hiver 2022-2023, même quand nos nouvelles installations seront prêtes (octobre 22). Dès que l’électricité sera plus chère que le gaz, on relancera nos turbines à gaz… et on revendra de l’électricité sur le marché libre, comme on le fait actuellement.

Il faut bien comprendre que les pics de l’électricité ne sont pas de même nature que les pics du prix du gaz. Le gaz augmente à cause d’une situation internationale générale, son prix ne change pas si la situation ne change pas. A l’inverse, le prix de l’électricité change de minute en minute, car on ne peut pas stocker l’énergie sous forme électrique dans un réservoir, contrairement au gaz. Par exemple : la demande d’électricité est très forte, et dans toute l’Europe, aux heures de pointe du matin et du soir. A ces heures -là, l’hiver 22, il sera sans doute rentable de brûler du gaz pour faire de la chaleur… et revendre de l’électricité.

Évidemment la Semhach sait relancer la cogénération à la minute, mais n’a pas de compétence pour jongler ainsi sur  les prix du marché international. C’est pourquoi nous nous sommes assuré les services d’un courtier suisse pour faire ces arbitrages.

Et à long terme ?

Nous l’avons vu : à partir d’octobre 2022 nous serons beaucoup moins dépendants au gaz. Mais il faudra quand même en acheter un peu, pour les chaudières qui resteront au gaz par sécurité en cas de panne électrique  et aussi  pour faire tourner les turbines de cogénération quand  le prix de revente de l’électricité sera avantageux. Parallèlement à la sortie partielle du gaz côté Semhach, Natalie Gandais, maire-adjointe au zéro-déchet et présidente de la Semgest (cantines scolaires), expérimente, sur 5 groupes scolaires et dans le cadre de la loi Économie circulaire, une transformation des bio-déchets des cantines en biogaz (en coopération avec le Syctom, à Vitry).

Peut-on espérer demain chauffer et fournir en eau chaude nos trois villes avec la seule géothermie, plus le biogaz de nos propres bio-déchets ? Ne rêvons pas trop : il va y avoir de la concurrence pour mettre la main sur ce biogaz ! Déjà, le Grand Orly Seine Bièvre, qui ramasse nos déchets ménagers, a commandé pour faire cette collecte… des camions à gaz ! Lui aussi veut réaliser un circuit court : faire rouler les bennes à ordure avec le biogaz issu des déchets qu’il ramasse…

A long terme, on le sait bien, pour limiter le réchauffement climatique provoqué par la combustion du gaz, pétrole et charbon, pour pallier l’épuisement de ces ressources fossiles, sans multiplier les risques de Tchernobyl ou de Fukushima en relançant l’industrie nucléaire, la seule solution est d’économiser l’énergie, donc isoler thermiquement tous nos bâtiments, et développer les énergies renouvelables (telle justement la géothermie, les chauffe-eaux solaires, etc.)

Ce que nos gouvernements auraient dû faire depuis que « on sait pour l’effet de serre », c’est à dire depuis 1992. Tous ces gouvernements ont failli. Il nous faut une vraie révolution verte.

Alain Lipietz

Vice-président du Sygeo et de la Semhach

 

 

 

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